Le jeu de deckbuilding de Martin Wallace, a Few acres of Snow, qui se déroule dans l’Amérique du Nord en plein conflit entre Français et Anglais, a acquis ses lettres de noblesse par l’exemplarité d’une mécanique simple et l’opposition asymétrique de deux camps aux stratégies bien différentes.
La guerre de 7 ans (1756-1763) est le point d’orgue d’un conflit déjà existant entre les colonies nord-américaines des royaumes de France et d’Angleterre. La chute de Montréal (1760) annonce la fin de l’hégémonie française sur un vaste territoire qui reliait jadis le Saint-Laurent à… la Nouvelle-Orléans (et ouais !). Parce qu’un peu d’histoire, ça ne fait pas de mal. Contexte historique (source wikipedia) :
« Quelques arpents de neige» (a few acres of snow) est l’une des citations de Voltaire par laquelle celui-ci exprimait son évaluation dépréciative de la valeur économique du Canada et, par extension, de la Nouvelle-France, en tant que colonie au XVIIIe siècle. Parce qu’elle exprime de façon concise une vision caricaturale qui avait cours en certains milieux de la France métropolitaine de l’époque, cette expression s’est intégrée à la culture populaire canadienne et elle est régulièrement citée par les Québécois.
Un gros contexte historique dans a Few acres of Snow
C’est grosso-modo en partant de ces faits historiques que le prolifique créateur de jeu, Martin Wallace, nous «offre» son jeu pour deux joueurs, a Few Acres of Snow (aFAoS), qui simule l’opposition des Anglais et des Français dans l’actuel Canada (anciennement la Nouvelle-France).
aFAoS est un jeu de stratégie avec un plateau représentant une partie infime de la côte Est actuelle des États-Unis et du Canada, théâtre historique de cette guerre. Les villes principales y sont représentées et chaque joueur a en face de lui son camp avec les emplacements prédéfinis pour ses cartes.
C’est autour d’une mécanique simple, celle du deckbuilding (c’est-à-dire la construction de son paquet de cartes durant le jeu) que le jeu va tourner. Les cartes que nous récupérons sont celles de lieux que nous avons conquis sur le plateau de jeu ou des achats des cartes de notre réserve (armée, soutiens divers, etc.). Les lieux nous octroient, par leur unique présence, une base de départ pour toute nouvelle conquête ou pour envoyer des raids sur lesquels je reviendrai bientôt.
Les cartes « lieu », et certaines cartes «Empire» (celles qui s’achètent en cours de jeu), comportent aussi des symboles (bateau, colon, peau de castor, canoë et/ou charrette). Il peut y avoir jusqu’à 3 symboles différents sur une carte. Ces symboles vous seront utiles au moment où vous jouerez vos cartes afin de remplir certaines conditions qui vous aideront à progresser dans votre conquête territoriale. Si vous jouez une carte pour un symbole, cette même carte ne peut pas servir dans le même tour pour en utiliser un autre ou pour vous servir de base de départ pour vos actions militaires. Une carte jouée, plusieurs possibilités, un choix.
Donc, vous l’avez compris, il faut que vous alliez au combat. Ce n’est pas un jeu de coopération, là on va en guerre pour bouter les anglais hors de la Nouvelle-France (ou l’inverse selon son camp). Les forces en présence ne sont pas les mêmes de part et d’autre, vous allez voir.
Un jeu asymétrique
Ça signifie tout simplement que les Français et les Anglais n’ont pas les mêmes cartes de départ, les mêmes positions géographiques ni les mêmes ressources et encore moins les mêmes façons de développer leur stratégie.
Les anglais commencent avec plus de moyens financiers et sont subventionnés plus largement par la couronne et leurs bateaux plein d’or.
Les français, ne pouvant compter sur un royaume exsangue (merci Louis XIV) ont une compétence qui leur est propre : la piraterie. En effet, via l’un de leur lieu de départ (Louisbourg), ils vont pouvoir chaparder des revenus aux « rouges ». Les français ont aussi la capacité de faire, plus facilement que les Anglais, du commerce de peaux de castor afin d’en tirer des revenus financiers. Et comme l’argent c’est le nerf de la guerre, autant dire qu’il va falloir jouer serré…
En revanche, pour tout ce qui est actions de développement (colonisation, développement des colonies en ville, fortifications, etc.) et actions de combats (agressives), elles fonctionnent à l’identique de part et d’autre du plateau (on joue face à face). Tout en menant une guerre d’usure, il va falloir réussir à se développer.
Et se développer signifie qu’il va falloir construire de nouvelles colonies et les faire évoluer en ville, tout en pensant à les protéger de l’ennemi. Ces villes vous rapporteront en fin de partie des points de victoire. Il sera même intéressant, selon les finances, de les fortifier ce qui empêchera l’adversaire de lancer des raids dessus. Les raids, action pour taquiner, peuvent vous faire perdre des positions stratégiques et rétrograder des villes en colonies, et même jusqu’à les rayer de la carte.
De ce point de vue, que l’on joue les anglais ou les français, ça fonctionne de la même façon. Ça en fait des choses, n’est-ce pas ?
Stratégie à la carte
Là où aFAoS est malin, c’est dans le système des cartes. Car l’essentiel se déroule avec celles-ci. Par exemple, un lieu de départ (ou conquis) comporte des informations de destination (pour déplacer vos colonies) et certains symboles, dont j’évoquais leur existence plus haut, seront utiles pour conquérir et avancer vers d’autres lieux. Il est donc primordial de gérer ses ressources / symboles avec les cartes que l’on a et essayer de se donner les moyens de nos actions. Actions que l’on aura pris soin de bien préméditer en amont (non, non… genre bien en amont. Voilà, tu y es).
En plus des conquêtes territoriales, vous devrez dépenser vos revenus pour renforcer votre paquet avec des cartes « Empire » qui sont en général des bonus (piocher trois cartes, s’en défausser de certaines, etc.) ou des cartes de forces militaires qui permettront d’assiéger les villes adverses.
Tiens puisque l’on parle de strapontins. Les sièges ! (Sièges, strapontins… non ? Désolé.) Ils fonctionnent sur un rapport de force symbolisé par le nombre de symboles militaires sur les cartes jouées par les deux parties. C’est celui qui met plus de symboles militaire (après vérification sur l’échelle de siège prévue à cet effet) qui remporte la ville adverse et peut, s’il en a les moyens, s’y installer directement (en récupérant la carte lieu qu’il ajoute à son deck). Les sièges durent plusieurs tours, c’est long à gérer mais pas compliqué. Une fois de plus vous devrez anticiper vos actions. Ça se prépare et plus vous avez de cartes, plus celles dont vous aurez besoin tarderont à sortir de la pioche (qui est rebattue à chaque fois qu’elle est vide afin de reformer une nouvelle pioche).
Pour la victoire finale, il faut savoir que si les Anglais perdent Boston ou New-York, c’est une victoire automatique des français. Inversement, si les Anglais récupèrent Québec (et seulement Québec) ce sont les français qui rentrent à la maison avec un gros « pan-pan cul-cul » tel que l’Histoire l’a vécu pour de vrai. Vous pouvez aussi remporter la partie en créant votre hégémonie territoriale dans les villes et villages de la région et en ayant, par exemple, joué tous vos disques (ville) et cubes (colonie) et qu’aucun siège ne soit en cours.
Victoire aussi à celui qui réussi à capturer pour 12 points de villes (4 points par disque) et/ou de colonies (2 points par cube) et qu’aucun siège ne soit en cours.
De guerre las en guerre classe
Sans doute, à mon sens, l’une des plus belles réussites ludiques de ces dernières années (rien que ça !) de par son mécanisme et l’asymétrie qu’il propose. aFAoS est un jeu de stratégie qui va faire chauffer vos neurones. Le jeu est long, très long et pourra sans doute en décourager plus d’un, mais je pense que si vous rentrez dedans, de part sa mécanique irréprochable vous trouverez un grand plaisir à réfléchir et mettre en pratique votre génie militaire (ou pas).
Le jeu en est à sa seconde édition et des règles correctives ont été apportées à cette dernière car une stratégie violente avait été trouvée et déséquilibrait grandement le jeu.
Pour information, l’année dernière (2015) Treefrog games a sorti Mythotopia qui, sur la même mécanique, nous permet de jouer à 4 dans un monde totalement imaginaire. Le succès de ce dernier est – dommage – resté assez confidentiel de part une optimisation moins maîtrisée
et un aspect visuel très austère.
L’article fleuve sur a Few acres of Snow est à lire aussi dans le numéro 7 de l’encéphalovore (à télécharger ici).